Le vrai combat commençait.
Les ouvriers, trempés de sueur, peinaient à décharger caisse après caisse. On pouvait appeler ça un boulot stable... au moins dans les bidonvilles. Une fois 20 caisses déchargées, ils auraient assez pour acheter du pain et de l'alcool.
Comparé à ces ouvriers, Rogers aurait dû être satisfaite de ce qu'elle gagnait. La boxe à mains nues lui offrait du danger, mais aussi une chance.
Après la boxe, elle rentrait chez elle en remontant la vieille rue.
Mais ce jour-là, il se passa quelque chose. Entendant un grand fracas provenant d'une maison délabrée, elle s'arrêta et regarda par une fenêtre ouverte.
« La famille, c'est la famille. Laisse-les tranquilles. »
« Allez, rentrons à la maison. Ne le dérange pas, c'est un démon. »
Rogers resta plantée là à regarder, ignorant ces paroles. Les passants secouaient la tête et hâtaient le pas.
L'ivrogne tenait une bouteille brisée et frappait la tête de la femme contre le mur. Du sang se mêlait à ses cris angoissés.
« Pitié, arrête ! »
« La ferme, salope. »
Enragée, Rogers vit rouge. Elle fixa l'homme du regard et une multitude de scènes similaires envahirent son esprit...
L'ivrogne continuait de battre la femme, de plus en plus fort, sans pitié.
Quand Rogers était enfant, elle s'était cachée dans un recoin, impuissante, à frissonner et étouffer ses geignements, n'osant faire un bruit qui engendrerait plus de douleur.
Mais elle avait appris que même le silence est inutile. Après un dernier coup de pied féroce à la femme, l'homme avait soulevé l'enfant par le col et crié : « C'est ma fille ? »
Muette de désespoir, la femme n'avait pu qu'hocher frénétiquement sa tête ensanglantée, mettant l'homme encore plus en colère.
......
Un bruit fort ramena Rogers à la réalité. Elle vit la femme tomber lourdement au sol, la vie quittant lentement son regard. Ses souvenirs coïncidaient avec le présent. Une vague de chaleur déferla en elle et Rogers se mit à trembler. Elle serra les dents et les poings, essayant de maîtriser sa colère.
« Arrête, tu vas la tuer ! » La voix de Rogers tremblait et il lui fallut toutes ses forces pour parler clairement.
La femme releva la tête avec difficulté, regarda Rogers par la fenêtre et murmura : « Pitié... sauvez mon enfant... »
Dans un coin de la pièce se trouvvait un petit bébé. L'enfant était emmailloté et paisible.
« Cette bâtarde ! C'est pas la mienne ! » L'ivrogne rota et tituba vers le bébé. La femme tira sur sa jambe de toutes ses forces. Il se contenta de lui frapper la tête avec un tabouret.
« Arrête ! » cria Rogers.
L'ivrogne donna mollement un coup de pied à la femme, puis lança un regard provocateur à Rogers : « C'est pas tes oignons. »
Rogers se souvint soudain de son père, se moquant d'elle à peu près de la même façon. « Qu'est-ce que tu vas faire ? » avait-il demandé. « Tu n'es qu'une gamine. »
——Mais maintenant, elle était grande.
Avant que l'ivrogne ne touche le bébé, Rogers bondit par la fenêtre, l'attrapa par le col et le frappa en plein visage.
Avec un cri de douleur, l'ivrogne s'envola un instant, retomba bruyamment au sol et s'évanouit.
« Merci... » Le visage de la femme était couvert de sang, mais son expression s'adoucit. « Vous pouvez l'emmener ? »
Rogers ramassa l'enfant.
La petite était adorable. Elle ouvrit soudain les yeux, murmura et essaya de la mordre.
Le bébé dans les bras, Rogers se tourna vers la femme.
« Elle va bien. »
La femme poussa soudain son dernier souffle, se détendit et ferma les yeux.
Rogers sortit de la maison délabrée et observa les silhouettes qui se balançaient dans la rue.
Derrière elle, l'ivrogne trébucha en se relevant. Il ouvrit ses yeux désormais vides, emplis d'un désir évident de sang et de chair fraîche.
Rogers se retourna, lançant ses poings en un déluge de coups.
Le vrai combat commençait.